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Terrorisme : Que veut-on du Sahel ?

Le Sahel
Temps de lecture: 9 minutes

Le Sahel, cette bande de terre située entre les pays du Maghreb et l’Afrique tropicale, est depuis quelques années propulsé au-devant de l’actualité par les médias du monde entier, du fait notamment des activités des groupes terroristes djihadistes.

Au nom de la défense de la démocratie et de la lutte contre le terrorisme, la France y a envoyé des soldats, 4000 au Mali, en janvier 2013, dans le cadre de l’opération Barkhane. Ancienne puissance coloniale de tous les pays du Sahel, la France est considérée comme ayant la capacité d’agir en Afrique grâce à sa connaissance du terrain et qu’elle pourrait par conséquent mieux répondre aux attentes de ses alliés au sein de l’Union européenne et du G5 Sahel, le « Groupe des Cinq » que forment le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad.

Aujourd’hui, à l’évidence, au bout de huit ans, l’intervention militaire de la France dans cinq pays francophones du Sahel n’a hélas pas permis d’éradiquer la menace djihadiste. Et naturellement, la poursuite de l’opération Barkhane soulève de plus en plus de nombreux doutes, à côté de la défiance des populations locales.

Adieu Barkhane ?

Et comme pour y faire écho, l’affaire connait un rebondissement inattendu, avec l’annonce du président français Emmanuel Macron de mettre fin à l’opération Barkhane en tant qu’opération extérieure, lors d’une conférence de presse consacrée aux sujets internationaux dans la perspective du G7 au Royaume-Uni du 11 au 13 juin et du sommet de l’OTAN le 14 juin, à Bruxelles. En effet, c’est lors d’un conseil de défense restreint, le 9 juin, que la décision de mettre fin à « Barkhane » a été prise. Barkhane passera donc la main à la force spéciale internationale anti-djihadiste, nommée Takuba, dans la région. On se souviendra d’ailleurs qu’au début de 2021, Emmanuel Macron avait évoqué la réduction à moyen terme de la présence militaire française dans le Sahel, qui est tout de même cinq fois plus vaste que l’Europe.

Mais, l’Élysée n’a annoncé aucun calendrier de retrait, ce qui suscite la question de savoir si l’ancienne puissance coloniale est vraiment la mieux placée pour stabiliser la zone ?

Opération longue et coûteuse

Depuis la seconde guerre mondiale, l’Hexagone n’avait pas mené d’opération aussi coûteuse que longue en dehors de la France : « Beaucoup de nos soldats sont tombés, j’ai une pensée pour leur famille. Nous leur devons la cohérence, la clarté. (…) Nous allons tirer les enseignements de ce qui a fonctionné et tirer aussi les enseignements de ce qui n’a pas fonctionné », avait déclaré Emmanuel Macron.

Coup de bluff sur fond de gaz, pétrole et uranium

La présence de la France dans le Sahel ne faisait pas toujours l’unanimité. En effet d’aucuns, estimaient que le combat de la France contre le terrorisme et le djihadisme au Sahel est un leurre, « car la présence militaire française au Mali en aucun cas n’est pour combattre le terrorisme ni pour défendre la démocratie. Elle ne serait qu’une campagne de communication des autorités françaises et de l’armée française en tant qu’institution », déclarait le politologue français Thomas Guénolé interviewé sur la question sur RT France, le 2 décembre 2019.

En effet, pour plus d’un observateur de la question, les motifs réels ne sont pas ceux qui sont présentés. Les tenants de la thèse du coup de bluff français insistent sur l’importance qu’il y a à faire le distinguo entre les motifs invoqués et les motifs réels. D’autres questions, sont vite posées : Est-ce vraiment pour combattre le terrorisme islamiste que la France a envoyé des troupes au Mali, dans le Sahel ? Non, répond encore Thomas Guénolé, qui affirme au cours de la même interview :

« Le Qatar est un financeur massif du terrorisme et pourtant il n’y a pas d’intervention française au Qatar. Donc ce n’est pas ça en termes de dangerosité. En termes de propagation du terrorisme, le Qatar est infiniment plus dangereux que les combattants du Nord du Mali et pourtant il n’y a pas d’intervention militaire Française au Qatar (…) Ce n’est pas pour ça, ce n’est pas non plus pour combattre les islamistes, parce qu’une grande puissance islamiste aujourd’hui, c’est l’Arabie saoudite. Or l’Arabie saoudite, la France lui vend des armes. Ce n’est pas non plus pour rétablir la démocratie ou défendre la démocratie au Sahel. Au Sahel, l’armée française bombarde les rebelles qui combattent la dictature de Debby au Tchad, donc la France n’est pas un défenseur de la démocratie au Sahel. Ainsi, une fois qu’on a éliminé toutes ces pistes là, ce qu’il reste comme motif, c’est protéger l’accès de certaines grandes firmes françaises aux ressources stratégiques du Sahel ».

Un autre tenant de la thèse de l’intérêt économique et du contrôle des ressources naturelles est de Fatime Raymonde Habré, épouse du Pr Hussein Habré. Reçue en avril 2021 dans l’émission télévisée « autour du micro », de Dakar matin l’ex-Première dame du Tchad déclarait :

« Dans la guerre du terrorisme, il y a deux points qu’il faut bien voir. C’est quoi l’enjeu réel dans cette guerre ? Mettons de côté l’écran médiatique et regardons concrètement l’enjeu c’est quoi ? Parce qu’il faut s’entendre sur cet enjeu dont on ne parle pas. Ce ne sont pas les bandits du terrorisme. L’enjeu c’est cet espace qui part des champs gaziers d’Algérie, du gaz que la France prend pour son chauffage et qui traverse, qui va de l’autre côté. A l’autre extrémité, c’est le Niger et ce sont les mines. Les mines d’Areva, les mines d’uranium d’Areva que la France achète à bon prix (…)  Il faut savoir que 2 ampoules sur 3 en France s’allument grâce à l’uranium du Niger. Cet espace est sujet aujourd’hui à des convoitises, ça c’est indéniable, aujourd’hui la Chine est une puissance, elle arrive. La Turquie est en Libye, les Russes sont en Libye, l’Iran s’intéresse de plus en plus aux mines d’uranium d’Areva, 3 fois le président iranien est arrivé au Niger pour l’exploitation de l’uranium du Niger.

Donc la France est inquiète, car cet espace de tout temps a toujours été exploitées par la France et ces mines sont gardées en réserve, c’est gardé en réserve, ils disent qu’il n’y a pas de financement d’exploitation et donc ce n’est pas exploité, ils disent qu’on ne veut pas exploiter, mais on veut vous empêcher vous aussi africains de les exploiter parce que sinon si on vous laisse, les Russes vont venir proposer quelque chose, vous allez dire oui ; les Turcs vont vous proposer, les chinois… et si vous sortez tout, qu’est-ce qu’on aura ? Donc personne ne touche à cette zone, c’est une zone qu’on garde en réserve pour pouvoir justifier que le Mali accepte une base militaire chez lui (il n’y en avait pas) il faut augmenter et présenter de manière dangereuse cette affaire ».

Le Sahel, carte en mains

De la Libye à la Centrafrique, et du Soudan du Sud au Mali du Nord, les conflits, la terreur et le chaos se sont répandus sur tout le continent. Au cœur de cet embrasement, un territoire est stratégique : le Sahel.

Cette vaste région qui englobe le Sahara au nord et les savanes au Sud est devenue le nouveau front de la guerre internationale contre le terrorisme. Mais le récit officiel de la guerre contre la terreur masque-t-il une bataille d’une tout autre envergure ? Il y a des ressources en abondance : du gaz, du pétrole, du coltan, de l’or, du cuivre, etc. Du Mali au Niger, en passant par la Mauritanie, ces ressources sont exploitées par des entreprises françaises. Au Niger, Areva exploite des gisements d’uranium en particulier pour les centrales nucléaires françaises, tandis qu’en Mauritanie, les exploitations pétrolières sont faites par la firme Total.

On ne peut par conséquent ignorer l’intérêt direct de l’accès aux ressources. On est clairement en présence d’un intérêt d’exploitation des richesses qui est un intérêt géo-économique. C’est cela qui est retenu comme motif fondamental de la présence de l’armée française au Sahel et non pas des considérations sur la défense des droits de l’homme, pour les tenants du leurre entretenu par la France.

Flashback…

Janvier 2013, 4000 soldats français sont déployés au Mali. Leur mission : arrêter l’avancée vers Bamako des rebelles djihadistes et indépendantistes Touaregs.

Mais déjà, il faut savoir que les Français ne sont plus les seuls à avoir des intérêts dans la région. En effet, ils doivent maintenant composer avec les investisseurs chinois et de nouveaux venus, les américains. La bonne vieille Françafrique est devenue le monde Afrique car l’Afrique est maintenant un pion essentiel sur l’échiquier mondial du XXIème siècle.

La période actuelle est marquée par ce qu’on peut appeler un nouveau Partage de l’Afrique. La guerre pour contrôler les ressources du 21e siècle a déjà commencé. Déjà au 13e siècle, l’empire du Mali s’étendait sur une grande partie de l’Afrique occidentale. Il était fabuleusement prospère : le sel, l’ivoire et l’or en avaient fait un carrefour majeur du commerce de l’époque. Mais très vite ses richesses ont attisé des conquêtes.

Le Mali est une sorte « d’Etat transitoire » entre l’Afrique du Nord et l’Afrique qui touche l’océan, l’Afrique forestière. Ceci lui confère une position stratégique essentielle. On pourrait ainsi dire qui contrôle le Mali contrôle l’Afrique de l’Ouest, pour ne pas dire l’Afrique ! C’est une position absolument claire et donc cet espace devient un espace de convoitise.

Houphouët le prophète…

Les dirigeants de la région ne sont pas si dupes qu’on pourrait le croire. A l’époque déjà, l’ancien président ivoirien Houphouët Boigny, interviewé par un média français, reconnaissait : « Qui aura l’Afrique dominera le monde, c’est une vérité parce que qui aura l’Afrique sera maître des matières premières dans le monde, soit qu’il développe ces matières premières pour son économie ou soit qu’il empêche que ces matières premières parviennent aux grandes puissances. »

Les Yankees en scène…

Et comme pour donner raison au défunt président de Côte d’Ivoire, dans les années 60 la découverte de gigantesques réserves de pétrole dans le golfe de Guinée attirent un nouvel acteur dont les besoins sont énormes : les États-Unis. Les Etats Unis investissent économiquement mais aussi militairement sur le continent africain devenu le nouveau champ de bataille de la guerre froide.

Pour contrer les intérêts soviétiques, les américains soutiennent secrètement des rebellions armées en Éthiopie et en Angola. Après l’effondrement de l’Union soviétique, les Etats-Unis restent la seule superpuissance au monde. Ils lancent en 1992 dans le cadre de l’ONU une intervention dite humanitaire dans la corne de l’Afrique, un territoire hautement stratégique.

Ils envoient en Somalie 28000 soldats dans le but de mettre un terme à une guerre civile. L’opération qui prend fin 2 ans plus tard se termine par un désastre. Des soldats américains sont capturés et tués, et les images de leurs corps mutilés sont diffusées par les médias du monde entier. Pour les Etats-Unis c’est une humiliation. L’armée se retire.

En 2002, le Pentagone a adressé une série de cartes qui délimitaient toute cette partie de l’Afrique comme un couloir terroriste. Le discours officiel du Pentagone était que ces terroristes étaient venus d’Afghanistan dont ils avaient été chassés par les forces américaines. On sait maintenant que c’était faux, ils étaient passés par le pays de Omar El-Béchir, le Soudan.

Plus que le 11septembre

Jeremy Keenan un professeur et essayiste britannique a passé 40 ans à étudier le Sahara. Il soutient que le discours de l’engagement militaire des Etats-Unis pour la région n’est pas seulement sécuritaire. Il y a eu à cette époque aux états unis quelque chose de plus important peut-être que le 11 septembre, la publication de ce qu’on appelle communément le rapport Cheney. C’était le premier ordre exécutif donné par le président Bush après son arrivée au pouvoir et il consistait à faire le point sur la crise énergétique aux Etats-Unis. En 1997 l’importation de l’énergie et de pétrole dépassait le seuil de 50%. Psychologiquement c’était un seuil critique. Ce rapport se focalisait sur les futures ressources du pétrole et naturellement sur l’Afrique qui promettait de devenir le premier fournisseur de pétrole de qualité susceptible d’alimenter les infrastructures américaines, encore plus que le golfe.

Si bien que d’un seul coup l’Afrique a pris une importance cruciale pour la classe politique à Washington…

Et plus particulièrement le Sahel avec au nord en Algérie et en Libye les plus grandes réserves pétrolières d’Afrique et au sud celle du Golfe de Guinée.

Aujourd’hui, avec la décision du président Emmanuel Macron de mettre fin à l’opération Barkhane, que deviendra la Sahel ? Quelle pourrait être la solution à la crise politique, économique et sécuritaire dans cette région ?

Et donc ?

La solution à la crise du Sahel est d’abord politique et nécessite une profonde réforme des États de la région, entre autres pour répondre aux exigences de justice de la population. Tel au Mali avec les Touaregs au nord en désaccord avec les autorités de Bamako au sud. Le bureau local du Haut-commissariat aux réfugiés HCR, indique d’ailleurs que « la violence au Sahel a éclaté après la révolution de 2011 en Libye et un soulèvement au Mali en 2012. Des hommes armés ont franchi les frontières, exploitant les tensions ethniques, la pauvreté et la faible gouvernance pour terroriser les populations locales. Lorsque l’effusion de sang a atteint le Burkina Faso, il y a environ quatre ans, elle a mis fin à la paix que le pays connaissait depuis longtemps. » Il faudrait donc réconcilier les peuples relocaliser les déplacés et trouver des solutions aux revendications politiques.

Mais la solution est aussi économique, car comme le préconisait Houphouët Boigny : « d’immenses richesses dorment aujourd’hui sous le Sahara. Richesses minières, richesses pétrolières, mais les moyens techniques, financiers à mettre en œuvre pour l’exploitation rationnelle de ses richesses sont d’une importance telle qu’aucune des régions limitrophes n’est capable de les réunir seule. (…) mais pour le moment, ce sont des richesses mortes. Il nous faut des moyens financiers, des concours techniques, du travail. (…) Ce qu’il faut retenir, surtout c’est la source de pétrole, la source énergétique si capitale à l’indépendance politique de la France et partant de l’ensemble du continent africain. (…) C’est un facteur très important dont il faut tenir compte quand on songe à la mise en valeur des régions Sahéliennes ».

Mais, aujourd’hui la solution est aussi d’ordre sécuritaire, car il n’est pas évident que la France puisse jouer seule un rôle déterminant à cet égard, sachant qu’elle serait aussitôt accusée de néocolonialisme. Le rôle des armées africaines du G5 est ici primordial.

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