Le congolais Patrice Emery Lumumba est assurément l’un des plus glorieux martyrs de la cause africaine. Lui aussi, son intransigeance pour l’émancipation de l’Afrique lui coûtera tragiquement la vie…
Les biographes disent que Patrice Lumumba, de son vrai nom Isaïe Tasumbu Tawosa, est né le 2 juillet 1925 dans le village d’Onalua, dans la province du Kasaï, dans la colonie Belge du Congo. Fils du paysan François Tolenga et de Juliana Amatu, il est le deuxième d’une fratrie de cinq enfants.
Ses deux géniteurs sont de la tribu Tetela, réputée indomptable, qui a d’ailleurs donné du fil à retordre aux colons belges en s’opposant à la colonisation entre 1895 et 1908.
Très tôt, le jeune Tawosa se distingue par un tempérament de résistant, alors qu’il doit travailler dans les plantations d’hévéa dans des conditions atroces. Charismatique et déterminé, c’est à cette époque qu’il prend le nom de Patrice Lumumba.
Lumumba est inscrit dans une école catholique, d’où il sera exclu pour avoir corrigé son enseignant en public.
Stanleyville, le tournant décisif
Il quittera Onalua, son village natal en 1942 pour un long voyage qui le mènera à Stanleyville (actuel Kisangani), où il sera accueilli dans la famille de Paul Kimbulu, en 1944. C’est dans cette ville qu’il apprend le français, en autodidacte, grâce à une fréquentation assidue des bibliothèques. Entre 1945 et 1951, Lumumba, qui ajoutera son deuxième prénom Emery, aura eu plusieurs femmes dans sa vie et cinq enfants. Il aura deux épouses portant le même prénom : Pauline.
En 1947, employé à la Poste, il se rend dans la capitale Léopoldville (Kinshasa) pour y étudier à l’école de la Poste. Au bout de neuf mois de formation, il est promu et regagne Stanleyville.
Dès 1950, il commence à écrire des articles dans des journaux congolais et belges, dans lesquels il relate la vie des évolués, ces congolais qui vivent comme des belges. Bien qu’admiratif de la civilisation occidentale et du mode de vie des colons, Lumumba prend de plus en plus conscience de la misère de ses compatriotes, soumis aux pires exactions au quotidien.
Patrice Lumumba, l’évolué
Très rapidement, il devient influent dans la communauté des évolués de Stanleyville et en 1954 il est élu président de l’Association des évolués de cette ville. C’est grâce à ces fonctions et au solide carnet d’adresses qu’il se constitue dans les milieux politiques au Congo et en Belgique, qu’il aura l’occasion de rencontrer le roi Baudoin 1er en juin 1955 lorsque le souverain belge se rend à Stanleyville.
Mais alors que son influence grandit, il entre en conflit avec les autorités coloniales, lorsqu’il s’oppose à la décision de la toute puissante église catholique d’interdire la création d’écoles publiques à Stanleyville. Sa popularité en prend un coup et l’année suivante en 1955, il perd l’élection à la présidence de l’Association des évolués. Accusé d’avoir détourné l’argent de son employeur, il est emprisonné et sommé de rembourser la somme détournée. Ayant obtenu d’être transféré à Léopoldville pour y purger sa peine en étant proche de son avocat, il y sera libéré à la condition de trouver du travail.
En 1957, Lumumba libre, commence à écrire pour dénoncer les méfaits de la colonisation. A Léopoldville, métropole cosmopolite, il est recruté à la Bracongo, société brassicole, dont il deviendra directeur commercial. Patrice Emery Lumumba apprend le Lingala, indispensable pour communiquer avec les masses. C’est là qu’il fait la connaissance de deux hommes qui impacteront le plus sa vie, Joseph Iléo et Joseph Désiré Mobutu.
Joseph Iléo, célèbre évolué de Léopoldville, est à l’origine de la création du Mouvement National Congolais (MNC), mouvement indépendantiste. Patrice y adhère et en gravit rapidement les échelons, jusqu’à en devenir président en 1958, et par la même occasion le porte-voix de l’élite indépendantiste congolaise.
Le panafricain
Son nouveau statut l’oblige à quitter la Bracongo et il s’engage davantage en politique. Lorsque Kwame Nkrumha l’invite au mois d’avril de cette année à la première Conférence Africaine des Etats africains indépendants, la pensée de Lumumba est définitivement orientée vers le panafricanisme.
Entretemps au Congo, la pression indépendantiste s’accentue. Le 4 janvier 1959, une manifestation anticoloniale est réprimée et des émeutes ont lieu, au cours desquelles des centaines de congolais sont tués. Le MNC condamne les émeutes et dénonce la répression. Le mouvement gagne davantage en popularité et se radicalise. En effet, vers la fin du mois de mars, Lumumba demande à la Belgique de choisir une date pour accorder à sa colonie son indépendance. Il effectue deux voyages hors du pays, qui le mènent en Guinée, chez Sekou Touré, et en Belgique. C’est à cette occasion qu’il s’orientera vers le communisme.
A son retour au pays, il se rend à Stanleyville pour y organiser le MNC, désormais scindé en deux, dont une aile dirigée par Joseph Iléo, basée à Elisabethville (Lubumbashi). Mais l’influence de Patrice Lumumba sera bien plus grande.
Ayant compris que la métropole ne comptait pas accorder au Congo l’indépendance, il radicalise le mouvement et le 1er novembre 1959, il sera emprisonné durant trois mois après des émeutes anticoloniales à Stanleyville, qui avaient provoqué la mort d’une douzaine de personnes.
Indépendance cha-cha
La pression, grandissant, la Belgique consent enfin à accorder l’indépendance au Congo et organise deux conférences, l’une économique et l’autre politique, pour préparer l’élite congolaise à prendre la gestion du pays, le 30 juin 1960.
Mais la métropole est fourbe. C’est du bout des lèvres qu’elle concède à accorder l’indépendance au Congo, dont elle entend en fait continuer à en gérer l’économie et surtout la riche province du Katanga, où elle a son pion, Moïse Tshombe.
Ce dernier nourrit un plan de sécession, pour détacher cette province du Sud-Est de la colonie, afin d’en faire un Etat libre, la République du Katanga. Il est entouré de conseillers belges qui se sont enrichis dans les mines de cuivre, de cobalt et d’uranium.
La Belgique a aussi dans ses manches les deux Joseph, Mobutu et Kasa-Vubu, qu’elle utilisera contre Lumumba. Elle finance ainsi d’autres partis politiques rivaux du MNC, comme l’ABAKO (Association des Bakongo, un parti tribal centré sur l’ethnie Bakongo) de Joseph Kasa-Vubu, la CONAKAT de Moïse Tshombe, etc. A Luluabourg, dans la province du Kasaï, un autre ancien du MNC, Albert Kalonji, sur les traces de Tshombe, réclame aussi l’indépendance du Kasaï, autre province riche en minerais, notamment le diamant.
Lumumba qui était en prison, en est sorti pour prendre part à la table ronde de Bruxelles pour préparer l’indépendance. Fidèle à lui-même, il exige l’indépendance totale, un Congo libre sans aucun interventionnisme de la métropole coloniale. Pendant que ses rivaux recherchent la partition du pays, lui réclame un Congo uni, avec Léopoldville comme capitale.
Lorsque des élections législatives sont organisées, c’est son parti, le MNC, qui remporte la majorité avec 33 sièges sur 137. Patrice Emery Lumumba se verra ainsi attribuer le poste le plus important du Gouvernement, celui de Premier ministre.
L’affront au roi des belges
Le 30 juin 1960, lorsque l’indépendance du Congo est proclamée, le roi des Belges, Baudoin 1er, qui a fait le déplacement de Léopoldville, fait un discours paternaliste, dans lequel il encense l’œuvre salvatrice de la colonisation, justifiant ses crimes, et présente l’indépendance comme un cadeau de sa magnanimité.
Pendant que le souverain belge s’attend à des remerciements obséquieux, Patrice Emery Lumumba s’empare du micro, alors qu’il n’y était pas convié et adresse une réplique cinglante au roi des belges. Il décrit les humiliations que subissaient les Congolais, soumis durant des décennies au régime du fouet, des mutilations et autres privations :
« Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des “nègres”. Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou croyances religieuses. Exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort même ». Lumumba déclare que l’indépendance est le fruit d’une lutte.
Humilié, le roi Baudoin 1er de Belgique menace de quitter la salle d’honneur du Palais de la Nation. Ce discours très applaudi, accroit la popularité du Premier ministre Lumumba tant au Congo qu’à travers le monde. Mais, il scelle aussi irrémédiablement son sort. Lumumba se fait ainsi de solides et dangereux ennemis.
Les deux sécessions proclamées dans les riches provinces minières (qui produisent alors plus de la moitié du budget du jeune pays indépendant) par Moïse Tshombe et Albert Kalonji, accaparent son attention. Il doit les mâter et fait appel aux forces des pays africains et aux Nations Unies. Mais les sécessionnistes sont soutenus par la Belgique, la France et les Etats-Unis d’Amérique, qui achètent l’uranium congolais par l’entremise de l’ancienne puissance coloniale. (C’est grâce à l’uranium du Congo que les USA avaient fabriqué les deux bombes atomiques qui avaient anéanti les villes japonaises d’Hiroshima et Nagasaki, et gagné la seconde guerre mondiale).
Lumumba ne parvient pas à obtenir un soutien des Africains, tandis que les Américains qui étaient de mèche avec les belges avaient déjà prévu de l’éliminer physiquement, en utilisant leur informateur, le colonel Joseph-Désiré Mobutu, alors chef de l’armée nationale congolaise (nommé par lui-même Lumumba). Le Premier ministre congolais se tourne alors vers l’Union soviétique, en guerre froide contre les Etats-Unis et l’Europe occidentale, pour mater les sécessions. Traité de communiste, Lumumba est isolé aussi bien au Congo qu’en Occident, et isolé par ses anciens alliés Mobutu et Kasa-Vubu. Ce dernier tentera de le démettre, mais Lumumba s’en remettra au Parlement pour contrer cette décision. Finalement seul et acculé, il est assigné à résidence.
Une fin tragique
Le 28 novembre 1960, il s’enfuit et tente de gagner Stanleyville par la route, où un gouvernement en exil animé par son ami Antoine Gizenga l’attend. Parti en voiture avec sa femme Pauline et son fils Rolland, il sera intercepté dans la province du Bandundu, alors qu’il essaie de traverser une rivière. Il est emprisonné à Thysville, lorsqu’une émeute éclate. Plutôt que de l’éliminer à Léopoldville, il sera acheminé à Elisabethville, au Katanga, où il sera livré aux forces Katangaises avec ses deux compagnons, Maurice Mpolo et Joseph Okito. Le 17 janvier 1961, Patrice Emery Lumumba et ses deux compagnons sont assassinés par des soldats Katangais et Belges, leurs corps dilués dans de l’acide sulfurique.
En 1956, le premier Premier ministre du Congo indépendant proposait d’éditer un ouvrage au titre prémonitoire : « Le Congo terre d’avenir est-il menacé ? » L’ouvrage ne fut pas immédiatement publié, en partie à cause de l’appréciation négative d’un lecteur choisi par l’éditeur, selon certaines sources. Cependant, la postérité garde de lui ces cinq citations célèbres :
(1) « Nous allons montrer au monde ce que peut faire l’homme noir quand il travaille dans la liberté. »
(2) « Sans dignité, il n’y a pas de liberté, sans justice, il n’y a pas de dignité, et sans indépendance, il n’y a pas d’hommes libres. »
(3) « L’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera, au Nord et au Sud du Sahara, une histoire de gloire et de dignité. »
(4) « Nous avons connu que la loi n’était jamais la même, selon qu’il s’agissait d’un blanc ou d’un noir, accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine pour les autres. »